Quelle est la différence entre un livre physique et un livre numérique ? Le premier est imprimé sur du papier, matière première qu’il faut aller chercher, travailler et ainsi de suite, pour la rendre capable de recevoir l’encre. De plus, le livre papier prend de la place, et le transport en gros de livres de l’endroit ou il est édité, jusqu’à l’endroit ou il va être vendu nécessite par conséquent un investissement en terme de moyens de transports, en terme de personnels, en terme de mètres cubes, et, in fine, en terme d’investissements financiers. A l’arrivée, le libraire prend le relais, et l’investissement financier, personnel, etc ne s’en trouve que renforcé. A tout cela s’ajoute la rémunération de l’auteur, celle de l’éditeur et l’argent mis dans la promotion du produit. En d’autres termes, jusqu’à ce qu’un livre soit dans les mains de celui qui l’a acheté, le chemin précédant son arrivée est tortueux et cher. La chaîne du livre, en retour, se paye sur le prix du livre, justifiant ainsi son caractère assez onéreux.

Parlons du deuxième à présent. Le livre numérique est un fichier aux formats très variés (pdf, epub, epub3, mobi).Un tapuscrit – généralement au format doc – se doit donc d’être paginé à l’aide des logiciels et des personnes adéquates pour être adapté aux exigences de l’e-pub (le format le plus courant). Il y a la création de l’illustration qui servira pour la couverture. De la même manière que dans le livre papier, le prix de l’ouvrage doit prendre en compte la rémunération de l’auteur, celle de l’auteur et l’argent mis dans la promotion du produit. Mais l’investissement financier mis dans l’acheminement du papier vers l’imprimerie, dans le travail de l’imprimeur n’existe plus. Adieu les hangars ou doivent se stocker des caisses et des caisses de livres attendant sagement leur acheminements vers les librairies. Bref, l’objet-livre a un prix, du fait de sa manufacture et de son transport d’un point A à un point B.

On entend souvent les Théophrastes de tout poils dirent que ce qui est scandaleux dans le livre numérique, c’est que celui-ci ne soit plus un objet, et que malgré cela il soit vendu très cher. Par conséquent, la dématérialisation du support de lecture devrait entraîner logiquement une réduction du coût de fabrication et de transport, et donc que cela se répercute sur le prix de vente du livre numérique. Mais fabriquer un objet, est-ce nécessairement fabriquer un objet de manière tangible dans l’espace ? A titre d’exemple, je citerais l’étymologie du mot « poésie » : Poio, en grec, veut dire faire, fabriquer. Or la poésie est la chose la plus délétère, la plus évanescente qu’il nous ait été donné de voir. Même si elle n’ai pas inscrite dans l’espace, elle se fait à partir d’une matière première que sont les mots. En d’autres termes, elle se fabrique.

L’analogie est, je pense, probante pour déjouer les fausses antinomies entre l’édition papier et celle numérique. Comme le dit le directeur général de Wolter Kluwers France, éditeur de livres numériques destinés aux professionnels et aux universitaires : « en termes de prix, et contrairement à ce que l’on peut penser spontanément, un e-book ne revient pas moins cher à proposer qu’un ouvrage sur papier. La valeur ajoutée pour nos clients est considérable en terme de mobilité et d’usage, sur la base d’investissements technologiques importants. Nous sommes aussi très attentifs à assurer à nos auteurs, parmi les meilleurs experts, comme à l’ensemble de la chaîne de diffusion de la connaissance, les rémunérations qui garantissent un développement durable et de qualité, ce qui est notre vocation et notre engagement ». Même si nous ne saurions adhérer sans prudence à la parole commerciale d’un éditeur, il me semble que celle-ci est quand même utile afin de mettre un frein aux illusions de la pensée spontanée.

Ceci étant dit, la prudence peut jouer son rôle. En effet, le coût d’une numérisation est modeste (1200 euros pour un ouvrage de 256 page selon l’Observatoire du Livre et de l’Ecrit en Île-de-France), et ne justifie pas une telle similarité entre les prix donnés à voir dans l’édition numérique, et ceux dans l’édition papier. C’est pourquoi l’article du magazine Slate, « pourquoi le livre numérique coûte à peine moins que le papier ? », publié le 16/09/2012 suit une piste intéressante que nous allons emprunter ensemble pour voir ou celle-ci débouche : « Une autre explication possible, le fait que les éditeurs arrivent aujourd’hui à tirer des marges très intéressantes sur leurs livres numériques (55% du prix de vente revient à l’éditeur pour un e-book contre 36% pour une version papier) ». Le goût du lucre a encore de beaux jours devant lui.

Ce n’est pas un vilain mot que de parler de marché, j’en conviens. Mais le marché est avant tout un écosystème qui se développe si et seulement si les éditeurs – entre lesquels a lieu une saine émulation – sont en bonne entente avec les distributeurs, les libraires et les lecteurs. L’appel d’offres pour la baisse du prix du livre numérique est émise, pour ainsi dire, directement par le lecteur. En effet, selon une étude menée par le cabinet Gfk, le lecteur se dit prêt à dépenser 7 euros pour s’offrir un livre qui en vaut 18 au format papier, soit une différence de 60%.

Afin d’encourager les éditeurs à baisser les prix des livres électroniques et ainsi à favoriser la commercialisation de son lecteur Kindle, Amazon accepte de reverser 70% du prix du livre, mais à certaines conditions. En souscrivant à ce mode de rémunération, les éditeurs doivent en échange vendre les livres électroniques à un prix compris entre 2,99 et 9,99 dollars (soit entre 2 et 7 euros). En vendant à perte, Amazon espère bien rendre son Kindle plus attractif. Malgré l’effet bénéfique à court terme, l’objectif à long terme est toujours de mettre en avant une liseuse fonctionnant sur un circuit fermé, avec un format propriétaire, le mobi. L’angélisme apparent sert de paravent à la conquête d’un monopole. En fin de compte, c’est l’utilisateur qui se fait écornifler. D’ailleurs, selon une nouvelle étude réalisée par Simon-Kucher & Partners sur les prix compétitifs d’Amazon, il s’avère que seuls les 20 premiers best-sellers de la liste Amazon disposent des prix les plus bas du marché. Les titres qui suivent ne figurent plus dans la case si séduisante : « prix le plus bas ». C’est pourquoi, devant tant de bonté, mes poils s’hérissent.

Une initiative plus louable, tournée vers le lecteur et son intérêt avant celui de l’entreprise, a été celle de l’éditeur Gallimard d’anticiper la baisse de la TVA sur les livres numériques avant le 1er janvier 2012, date à laquelle elle devait entrer en vigueur. Le nouveau taux de 7% (par rapport à l’ancien de 19,6%) a donc diminué le prix d’achat, une bonne nouvelle pour les lecteurs ! Eric Marbeau, responsable de la diffusion numérique du groupe d’édition a déclaré au blog epagine : « cette décision prise en cette période de fêtes de fin d’année est avant tout une opportunité commerciale, un geste en direction du public qui aura fait l’acquisition d’une tablette de lecture ou d’une liseuse à Noël et n’aura qu’une envie : chercher dans les catalogues numériques l’offre la plus attractive (large choix, qualité des fichier, prix) ». Hachette fait aussi un pas historique vers une politique de prix de livre numérique plus raisonnable. Par communiqué de presse, l’éditeur a annoncé qu’il allait établir les prix de 2000 livres de son catalogue (en littérature uniquement) sur les prix des poches. L’initiative est louable car établir le prix du livre numérique sur celui du livre de poche risque de cannibaliser les ventes de cette édition papier. Un risque difficile à prendre tant le format poche reste un débouché lucratif.

Malgré les politiques de prix attractifs qui commencent à se développer, un point reste encore aveugle. En effet, si la saine émulation entre les éditeurs est une bonne chose, ils ne doivent pas perdre de vue que l’adversaire principale du livre numérique n’est pas le prix littéraire x ou y édité en version papier, mais pourrait bien être le jeu vidéo pour smartphone et tablettes « Angry Birds ». En conséquence de quoi, il est possible que la politique de prix doit être réfléchie non pas seulement par rapport au domaine en question (la littérature), mais aussi par rapport au support utilisé (la tablette). Une initiative qui, nous semble-t-il, va dans ce sens, est celle de Numeriklivres avec sa collection « 45 minutes ». Le concept est le suivant : vous avez 45 minutes de temps à perdre dans votre trajet quotidien en transport public. Comment allez-vous occuper votre temps ? Jouer à Angry Birds ? Non, lire un épisode d’une série littéraire de votre choix !

C’est aussi cela qui peut compter dans la baisse des prix du livre numérique: ne pas seulement provoquer une émulation entre les différents éditeurs, mais aussi entre les différents usages du support qui va servir à la lecture. L’utilisation de nouveaux supports entraîne de nouvelles pratiques qui, à leur tour, doivent faire écho aux pratiques numériques déjà existantes, et proposer à ces dernières une alternative à moindre coût. C’est à ce prix qu’elle pourra se démocratiser.

(source : http://blog.sanspapier.com/la-politique-de-prix-des-livres-numeriques-reflexions/)

 

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mai 10, 2013

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