Rencontre avec Gérard Payen, conseiller du Secrétaire général de l’ONU pour les questions liées à l’eau.
Dans votre livre De l’eau pour tous ! Abandonner les idées reçues, affronter les réalités (Armand Colin, 2012), vous affirmez que « la réutilisation des eaux urbaines en irrigation est de plus en plus développée dans les pays arides ou confrontés aux tensions hydriques ».
Vous rajoutez que « c’est une façon de combiner les usages de façon extrêmement astucieuse, puisque la ville alimente dans ce cas la campagne ». Ce type de réutilisation est-il uniquement développé dans les pays arides ou confrontés aux tensions hydriques ?
La réutilisation des eaux urbaines en irrigation sert à résoudre un problème quantitatif, celui de satisfaire tous les besoins d’un territoire lorsque les quantités d’eau renouvelées chaque année sont difficiles à mobiliser en quantité suffisante.
Face à ce problème de stress hydrique, trois réponses sont envisageables. Premièrement, trouver des ressources supplémentaires. Deuxièmement, faire des économies d’eau. Troisièmement, organiser la recirculation de l’eau, c’est-à-dire faire en sorte d’utiliser l’eau plusieurs fois avant de la rendre à la mer.
Cette réutilisation est simple à mettre en œuvre pour certains usages. Ainsi, pour les barrages hydro-électriques, l’utilisation de l’eau est facilement suivie d’un recyclage. De même, pour le refroidissement des centrales thermiques, la qualité de l’eau recyclée ne diffère pas sensiblement de celle utilisée pour créer de l’énergie. Sa température plus élevée peut être un problème pour certains écosystèmes, mais non pour les usages que l’homme peut en faire.
La réutilisation des eaux urbaines nécessite une dépollution. Elle se développe dans de nombreux pays. Les coûts ne sont pas les mêmes selon la destination de l’eau : irrigation agricole, usage industriel, ou alimentation de populations. Pour qu’elle redevienne potable, l’eau demande une dépollution très poussée, donc plus chère. L’irrigation exige un traitement moins coûteux, c’est en conséquence la voie prioritaire.
Irriguer avec des eaux usées est une pratique très ancienne. Mais aujourd’hui, on prend beaucoup plus de précautions. Il s’agit d’assurer une qualité convenable aux eaux recyclées en maitrisant la nature des pollutions transportées et en appliquant une épuration adaptée. La France est un exemple de pays où la première exigence fonctionne lorsque la qualité des eaux d’égouts est maîtrisée par l’intermédiaire de conventions de déversement pour les industriels. C’est cependant un pays où les besoins en eau n’augmentent pas.
A l’opposé, la réutilisation des eaux urbaines se développe dans la plupart des pays où il y a des tensions hydriques importantes. L’épuration de l’eau après usage y est économiquement viable car elle coûte souvent moins cher que de dessaler de l’eau de mer. En Espagne, les golfs ne peuvent être arrosés qu’avec des eaux recyclées. En Tunisie, les eaux urbaines sont largement réutilisées en irrigation agricole. Cela permet à ce pays de faire face à ses problèmes de pénuries d’eau.
Des pays aux climats continentaux ont-ils pu s’essayer à ce nouveau type d’organisation des usages de l’eau ?
Bien sûr, les pays arides ont été les premiers concernés. Mais, le stress hydrique croit dans la majorité des pays indépendamment du climat. Aujourd’hui, un quart de l’humanité vit sur un territoire souffrant de stress hydrique sévère et cette situation s’aggrave. La principale cause de cette dynamique est l’augmentation des demandes en eau résultant de la croissance urbaine, du développement industriel et de l’accroissement de l’irrigation. Le recyclage organisé des eaux après usage se justifie dans tous les endroits où l’augmentation des besoins ne peut trouver des réponses locales plus économiques. Il se développe en conséquence dans des pays avec des climats très variés.
À supposer qu’il y en ait, quels peuvent être les freins démographiques, politiques ou économiques empêchant ce nouveau type d’organisation de se propager ?
Dans certains pays, l’opinion publique peut avoir peur que les eaux usées contaminent les productions agricoles alimentaires. Mais si l’épuration est correctement faite, la population peut être rassurée.
Des obstacles institutionnels existent dans de nombreux pays. Il convient en effet d’organiser et de créer des institutions capables d’organiser et imposer dialogue et solutions de recyclage entre des secteurs d’activité très différents souvent rattachés à plusieurs ministères.
Économiquement, la dépollution permettant de réutiliser l’eau qui sort des villes en irrigation a un coût qui se peut se répercuter sur le prix de l’eau pour les agriculteurs. Habitués à irriguer leurs champs avec une eau peu coûteuse, les producteurs qui bénéficient de ce nouveau type d’organisation doivent alors privilégier des variétés à haute valeur ajoutée.
Dans votre livre, vous dites qu’« il est très difficile de faire accepter l’idée que l’eau peut retrouver toutes ses qualités après traitements poussées de dépollution ». Estimez-vous que la persistance de cette idée reçue vient du fait que les processus de dépollution sont toujours pensé comme artificiels ?
L’opinion publique a effectivement tendance à faire confiance aux processus naturels et à se méfier des systèmes industriels, bien que ces derniers puissent faire un travail d’excellente qualité.
Le passage par la case nature permet ainsi aux Français de pratiquer le recyclage des eaux usées sans en avoir conscience. Énormément d’agglomérations font subir des traitements épuratoires poussés à leurs eaux usées puis les rejettent dans des rivières. Une pollution résiduelle subsiste dans ces eaux. Celle-ci sera traitée et largement éliminée par le biais de la dépollution naturelle qui se fait dans le cours d’eau. 50 kilomètres en aval, une autre ville viendra pomper dans cette même rivière pour faire de l’eau potable, et cela ne posera de problème à personne, en raison de la grande confiance en l’efficacité des processus naturels. Il n’empêche que l’eau redevenue potable aura déjà servi quelque part. Par exemple, il est probable que l’eau qui s’écoule dans le bassin de la Seine soit réutilisée plusieurs fois de cette manière avant d’arriver à la mer.
Mais la défiance habituelle envers les processus industriels ne s’applique pas forcément aux stations d’épuration. Depuis des décennies, tous les sondages montrent que les français font confiance à ces systèmes industriels de dépollution. En effet, plus de la moitié des habitants sont persuadés que l’eau de leur robinet est une eau usée qui a été traitée, épurée et purifiée. Pourtant cela est faux. En France, pays de climat tempéré et de densité de population modérée, il n’y a jamais eu de stress hydrique conduisant à prendre directement des eaux usées urbaines pour faire de l’eau potable. Cette croyance erronée mais persistante montre que l’opinion publique française confond les usines de traitements d’eaux et les stations d’épuration. Les français sont persuadés que leur eau potable vient des stations d’épuration, et pourtant cela n’a jamais donné lieu à des contestations ! En Australie, le gouvernement a voulu créer de véritables installations de traitements des eaux urbaines pour faire de l’eau potable. Il y a eu alors des manifestations publiques d’opposition.
Vous estimez que « la maîtrise de la pollution est une problématique essentiellement collective, du ressort des pouvoirs publics, seuls à même d’imposer des obligations aux différents types de pollueurs ». De ce point de vue, le principe pollueur/payeur selon lequel « les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur » vous semble-t-il efficace ?
Bien sûr, c’est une très bonne solution, lorsqu’elle est effectivement appliquée.
Essentielle à la vie et aux activités humaines, l’eau a un coût auquel il est souhaitable que chaque utilisateur participe s’il en a les moyens. Mais personne n’a envie de payer pour les autres et si chacun voit bien l’intérêt de payer pour avoir de l’eau potable, il est clair que dépolluer les eaux que l’on a utilisées pour qu’elles puissent servir à d’autres représente un cout qui n’apporte aucun bénéfice au pollueur. Les particuliers n’investissent pas naturellement dans des installations performantes d’épuration individuelles. Sauf exception, les municipalités et les industriels n’investissent dans des usines de traitement des eaux usées que s’ils y sont contraints par la règlementation. Les obligations légales ou réglementaires induites par le principe pollueur-payeur créent la solidarité qui est nécessaire entre tous les utilisateurs des mêmes ressources en eau, solidarité qui n’apparaitrait pas spontanément.
Par ailleurs, ce principe pollueur-payeur est une incitation pour les entreprises à mieux gérer leur pollution, ce qui leur permet alors de recycler l’eau en interne. En effet, si l’eau polluée n’est pas rejetée à l’extérieur, aucune redevance de pollution n’est à payer.
( source : http://le-blog-du-syage.org/la-depollution-un-enjeu-de-societe/ )
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